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Entretien paru dans Libération du 31 octobre 2006
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NB : la version ci-dessous est celle que j'ai envoyée au quotidien. Je n'ai pas vérifié mot à mot si la version publiée est la même !
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Que pensez-vous des systèmes de compensation de CO2 ?
La compensation carbone, c'est une forme d'indulgence des temps modernes. Physiquement, aucun paiement ne va "annuler" des emissions qui auront bien eu lieu si nous prenons l'avion ou montons le thermostat. Ce que nous payons, c'est l'espoir (et non la certitude) que les émissions baisseront ailleurs, plus tard, et chez d'autres, sans savoir si cette baisse sera seulement réelle (cette remarque vaut même pour les forêts à cause du réchauffement en cours) ou égale à ce qui est émis par celui qui paie.
N'est-ce pas mieux de compenser que de ne rien faire du tout ?
La compensation ne tient que si elle s'applique à une partie infime des émissions. Imaginez que tout le monde s'y mette et compense toutes ses émissions : à la fin, on arrive à une situation absurde. Sur le papier, toutes les emissions ont disparu (chacun a compensé), mais dans la réalité, il y a toujours nos emissions de CO2, même "compensées" ! Compenser peut donc être pire que de ne rien faire, parce que cela nous éloigne un peu plus des baisses réelles auxquelles nous ne pourrons pas couper. Plus nous mettons le changement climatique sous le tapis, parce que changer nos comportements est trop dur, et plus vite il nous sautera violemment à la figure.
Que préconisez-vous ?
La meilleure manière de réduire, c'est encore de réduire ! Ne pas prendre l'avion ou ne pas allumer sa chaudière se traduit directement en une absence d'émissions : les économies, immédiates et visibles, garantissent mieux le résultat que la compensation. En outre les économies ne supposent pas de passer le bébé à quelqu'un d'autre, ce qui est le but même de la compensation. Combien de "compensateurs" sont par ailleurs opposés aux "droit de polluer", pourtant bien plus contraignants, puisque les emissions permises sont plafonnées à un niveau fixé d'avance ? Les personnes qui compensent souhaitent souvent agir sans rien changer, ce qui n'est pas très éloigné des declarations d'un certain Georges Bush. Souvenons nous que ce dernier a affirmé que "le mode de vie des Américains n'est pas négociable". Là, c'est un peu la même chose. Les gens se disent: "je veux continuer à partir en low-cost en Europe ou ailleurs... Et comme je paie, je suis absous, sans m'être privé de mon petit voyage". Quelque part, ceux qui défendent la compensation s'adressent à des gens qui pensent qu'ils ne peuvent rien changer à leurs habitudes. Or, face au changement climatique, tout le monde peut, et surtout, va devoir changer ses habitudes. On a tous tendance à laisser traîner les choses jusqu'au dernier moment. Le prix à payer n'en sera que plus élevé. C'est un peu comme quand vous avez une carie, vous retardez le moment d'aller chez le dentiste. Voilà pourquoi les dentistes font des affaires en or en faisant de gros travaux sur votre dentition alors qu'un coup de fraise aurait suffi si nous étions prévoyants !
Alors... que fait-on?
Le mieux, c'est de mettre en place une taxe progressive qui, encore une fois, ne fait qu'anticiper quelque chose de malheureusement ineluctable : le fait que quelqu'un va bien devoir passer à la caisse pour payer les dommages climatiques et la rarefaction des énergies fossiles. Si un vol Paris-New York est taxé à 500 euros (ce qui correspond à un alignement de la fiscalité du kérosène sur celle de l'essence), non seulement cela a un côté dissuasif, mais en plus, à ce niveau de prix, il y aurait de vraies possibilités de réduire les émissions "ailleurs", y compris chez nous. Sur les sites type Action Carbone, compenser un Paris-New York vous coûte 20 euros, soit 8% du billet.